Duino elegies

Rainer tourne en rond dans la salle de musique de Duino. Sa copine de Tour et Taxis lui a-t-elle posé un lapin ? Seul son chien le comprend et il se demande ce qu’il peut bien voir avec ces yeux fixes et confiants, si différents de nous autres pauvres êtres voués à la déprime automnale.
Il écrit sa huitième élégie, comme les autres fortement influencée par la représentation des anges trouvés dans l’islam, symboles d’une beauté qui se révèle terrifiante et inaccessible, propre à faire hésiter l’homme à avancer, maladroit comme une chauve-souris. Cela a finalement nécessité deux crises d’inspiration, en 1912 à Duino, puis dix ans après à Veyras au Château de Muzot, pour livrer ces quelques lignes. Moi elles me parlent …


Duino via commons
« On voit l’œuvre d’art interagir avec les processus neuraux liés au soi, les affecter, et peut-être même être incorporée en eux. Cet unisson, ce moment où le cerveau détecte une certaine harmonie entre le monde extérieur et notre représentation intérieure de nous-mêmes nous donne l’impression que la beauté nous touche du dedans. Ce mécanisme appartient à l’espèce, mais le résultat est individualisé : l’expérience esthétique me dit qu’un accord se réalise – et que c’est important pour moi » (Nic Ulmi, via le temps.ch).

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La huitième élégie

La huitième élégie

À Rudolf Kassner.

De tous ses yeux la créature voit l’ouvert.
Mais nos yeux seuls sont comme retournés
et posés tels des pièges autour de cette issue.
Ce qui est tel au dehors nous ne le connaissons
que par la vue de l’animal.
Car dès l’enfance on nous retourne
et nous contraint à regarder
le monde des formes en arrière, et non
ce libre espace qui, dans le visage de l’animal,
est si profond. Quitte de mort.
Mais nous ne voyons qu’elle ; l’animal libre
a toujours dépassé sa fin ;
il va vers Dieu, et lorsqu’il marche,
c’est vers l’éternité, comme coule une source.
Mais nous, jamais nous n’avons un seul jour
le pur espace devant nous, où les fleurs s’ouvrent
infiniment. Toujours le monde,
jamais l’absence sans limite,
le pur insurveillé que l’on respire,
que l’on sait infini et jamais ne désire.
Un enfant silencieux parfois s’y perd,
mais on le secoue et on l’en tire. Ou tel mourant,
est sur le point de devenir cela.
Car près de mourir nous ne voyons plus la mort :
Dans nos yeux fixes s’ouvre alors, peut-être,
le grand regard de l’animal.
Les amants – n’était l’autre qui masque la vue, –
en sont tout proches et s’étonnent …
Ainsi que par hasard, cela s’entr’ouvre
derrière l’autre … Mais l’autre, comment
le franchir ? Le monde déjà se referme en lui.
Tournés toujours vers la création,
nous ne voyons que le reflet, par nous-même obscurci,
de cette liberté. A moins qu’un animal
lève les yeux, muet, nous traversant,
de son calme regard. Voilà ce qui se nomme
Destin : être en face du monde.
Cela, rien que cela : toujours en face.

Si l’animal tranquille que nous rencontrons
avait conscience comme nous,
il nous rebrousserait, nous entraînant
dans le sens de sa marche. Mais son être
est infini pour lui, sans frein et sans regard
sur son état aussi pur que sa vue.
Car il voit tout où nous ne voyons qu’avenir,
se voit lui-même en tout, et guéri pour toujours.
Et pourtant en l’animal chaud et vigilant
sont le poids, le souci d’une langueur profonde.
En lui aussi demeure ce qui nous accable :
le souvenir, comme si ce vers quoi
nous tendons, autrefois déjà, avait été
plus proche, plus fidèle et au toucher plus doux.
Tout ici est distance : c’était là-bas
haleine. Ah, comme après la première patrie,
celle-ci lui paraît incertaine, éventée !
Oh ! bienheureuse, la petite créature
qui toujours reste dans le sein qui la créa.
Bonheur du moucheron qui saute encore
Intérieurement, même à ses noces.
Oui, le sein est tout. L’oiseau, regarde-le,
et sa demi-sécurité, car par son origine
il participe à l’un et à l’autre,
comme s’il était l’âme d’un Étrusque
issue d’un mort qu’un cercueil enferma,
mais dont l’image reposait sur le couvercle.
Et vois, le trouble de celui qui doit voler,
issu du sein. Comme effrayé par soi,
il fend le ciel, tasse fêlée. Ainsi la trace
de la chauve-souris raye le soir en porcelaine.

Et nous : spectateurs, partout et toujours,
tournés vers tout, mais n’ayant nulle issue.
Comblés, nous ordonnons encore, et nous-mêmes passons.
Qui nous a retournés ainsi, afin
que nous soyons dans l’attitude du départ,
quoique nous fassions ? Comme celui qui part,
s’arrête encor sur la colline extrême,
d’où sa vallée entière s’offre à lui,
comme il s’attarde et se retourne, – ainsi
nous vivons en prenant congé sans cesse.

Rainer Maria Rilke.
Élégies de Duino, traduction M. Betz, in Poètes d’aujourd’hui, par Pierre Desgraupes, Seghers, Paris, 1958.

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R. Steiner et la jeune fille du métro

Le ruisseau que l’on devine au creux du vallon, c’est toujours avec une joie plus ou moins secrète, quelque sentiment de fierté et de gratitude : avec lui nous collaborons à construire une définition plus juste du monde, plus convenable à la survie de notre être. C’est une nécessité vitale qu’il est naturel et facile de projeter vers une intention qu’on devinera à l’œuvre dans le cosmos. L’univers se révèle, aussi échevelé qu’il soit, comme une toison d’or bien peignée, chaque astre à sa place pour dessiner les constellations, la question suivante devient alors automatiquement : par qui.

Telle l’apparition d’une de ces constellations à l’horizon dans une nuit pure, telle aussi l’apparition de certaines capacités dans l’esprit humain, au cours des âges de l’humanité, selon un rythme révélé par la redécouverte qu’en fait chaque enfant au cours de sa croissance. Il y a eu un jour, si l’on lit Rudolf Steiner distraitement, un paquet cadeau qu’on ne peut croire offert par quelqu’un d’autre qu’une théorie d’anges bien ordonnés à l’humanité en gésine, il y a eu cette conscience que soudainement elle s’est découverte avoir … la conscience, l’âge de raison, l’âme même, la foi parfois, il y a un moment où on l’a, c’est qu’au moment précédent on ne l’avait pas.

Autant la capacité d’attention, le pouvoir de deviner, le raisonnement causal ne sont que le prolongement d’instincts trouvés dans d’autres ordres de la nature, autant certaines capacités particulières, dont la nature tient un peu au spirituel, demandent une contrepartie encore plus spirituelle qui nous les délivre : c’est une évidence.

C’est une évidence, je précise bien, si l’on pense distraitement et relit distraitement les bons auteurs. Mais s’ils ne laissaient entendre ces choses que par jeu, par connivence amusée avec leur public qui les attend là, comme l’auteur comique de « la jeune fille du métro » ?

Rudolf

grey ratio

La proportion dorée (golden ratio) est celle qui permet de découper des feuilles A4. Elle se base sur le nombre d’or.

Mise à jour : découper des carrés. Pour la série A1, A2, A3, A4 … rac(2) suffit, là c’est (1+rac(5))/2.

golden-ratio-proportions-vector

La proportion grise s’intéresse au ratio entre le poids du cerveau et le poids de son hôte. J’ai introduit quelques véhicules dans le tableau pour mettre en évidence quelque chose dont on n’a pas toujours conscience.

espèces

ratio cerveau/corps

petites fourmis

1:7

chauves-souris

1:10

petits oiseaux

1:14

humains

1:40

souris

1:40

chats

1:110

chiens

1:125

écureuils

1:150

grenouilles

1:170

lions

1:550

éléphants

1:560

chevaux

1:600

voitures

1:850

voitures électriques

1:1 000

requins

1:2 500

hippopotames

1:2 800

baleines

1:5 000

camions

1:6 700

baleines bleues

1:26 000

gros camions

1:33 000

Pour la voiture de base, j’ai une masse de 1 300 kg et le cerveau reste le même, rappelons qu’il plafonne à 1,5 kg. C’est plutôt flatteur, pour les chauffeurs, d’avoir une place bien au chaud près du radiateur entre des espèces prestigieuses comme l’éléphant et la baleine. Qu’ils pensent surtout qu’avec plus de poids viennent plus de responsabilités.

Mais allons plus loin : un véhicule automatique, conçu uniquement pour se déplacer plus loin, moins cher et en sécurité, semble déjà plus efficace qu’un véhicule avec chauffeur, surtout avec les agressions qu’ils subissent.

C’est que le mirifique cerveau de l’homme lui sert à maintenir son état vital, et à communiquer, et à plein d’autres choses dont on n’a pas conscience alors qu’en voyage, c’est de la route qu’il faut s’occuper. Les voitures modernes suppléent déjà, allumant l’essuie-glaces, les phares, gérant un meilleur freinage aussi. Cela représente quelques milligrammes de cerveau en plus, mais, spécialisé et donc plus près des 100% d’efficacité dans leur domaine.

E. Poe & la jeune fille du métro

eso.org

Le ruisseau que l’on devine au creux du vallon et l’intention que l’on devine avec la même force dans le cosmos.

Si l’on devine une intention c’est que l’on part de pré-conditions liées à notre destin de chasseur ; il faut une causalité forte et rarement défiée pour l’efficacité. De même que le public suppose l’intention complice dans le jeu du chanteur qui change de rime au moment grivois dans « la jeune fille du métro », de même le même public ne comprend pas que le scientifique joue un jeu soi-disant différent : nous savons tous qu’il y a une intention (sous-entendu dans le cosmos) mais vous ne voulez pas le dire.

Edgar Poe serait l’un de premiers à avoir, dans « Eurêka », tiré les conséquences de la gravitation au niveau de l’univers, à savoir que les agrégats de matière, quels qu’ils soient, galaxies ou astres, tendent à se réunir – sous-entendu, quelque diable les a désunis auparavant, non ? au même titre que, au hasard, l’esprit et la matière, l’âme et le corps, le fer et les épinards &c.

C’est ainsi que des idées lancées un siècle avant ma naissance touchent encore mon âme.