progrès et guerre juste


Deux familles de cousins jouent aux dés et à la guerre, c’est l’un des arguments du Mahabharata. On ne peut s’y soustraire, aux dés on perd forcément, c’est comme le progrès, malgré les tricheries manifestes, du fait des règles morales très bien fondées ; que vient expliquer, pour la guerre, le dieu. Cette histoire est très moderne, elle évoque pour moi la meule du progrès qui broie inlassablement les hommes mais qu’il serait impensable d’arrêter. Hier le totalitarisme, aujourd’hui le libéralisme et toujours hors sujet ceux qui prônent la révolte.
L’ambiance des religions de la Bible, toute passive et aveugle qu’elle soit, laisse moins transparaître cette terreur du progrès et s’en tient à une eschatologie assez éloignée, l’attente du jugement final, pour que rien ne change en attendant.

Paris - Musée d’Orsay - Les disciples Pierre et Jean courant au Sépulcre le matin de la Résurrection by Eugène Burnand
Paris – Musée d’Orsay – Les disciples Pierre et Jean courant au Sépulcre le matin de la Résurrection by Eugène Burnand

Jeune femme à la fenêtre

Jeune femme à la fenêtre
W. C. Williams

Elle est assise
avec ses larmes
sur la joue
la joue sur
sa main
le gosse
dans son giron
a son nez
collé
à la vitre

 Bruges/Brussels circa 1485 to the turn of the century, Portrait of a young woman at a window via nordonart.wordpress.com

Bruges/Brussels circa 1485 to the turn of the century, Portrait of a young woman at a window via nordonart.wordpress.com

Le voleur disparaît

Qu’est-ce que la jeune femme pense à sa fenêtre ? ( Il y a longtemps, les scientifiques et les gens savaient que seuls les humains avaient des pensées et de la raison. Ils pouvaient, par exemple, imaginer les pensées des autres. Personne d’autre sur la terre ne le pouvait faire ; pas même les enfants, encore moins les autistes. Maintenant nous essayons de prêter ces capacités même à nos amis les animaux.)

Les poètes ont joué avec cela pendant des millénaires et des éons. Les sentiments. C’est noble et valorisant. Puis vient – pouf – un mouvement de poètes imagistes et on ne parle plus que de ce qui peut être vu. Est-ce que l’enfant a volé quelque chose ? Nous n’étions pas là. Le voleur a disparu (celui de la prime version du poème.)

Maintenant, il y a seulement une femme qui pleure et il n’y a pas le «pourquoi» . Quant à la cause, cela pourrait bien être l’enfant ? Mais il n’est pas intéressé. Mettez votre nez à la fenêtre, pas dans cette affaire.

Je dirais que les mots, les phrases développent un nouveau pouvoir lorsqu’on jette tout pour ne garder que le cœur, la chair de la situation. Le mot exact ignore les conjectures sur l’état d’esprit de chacun. Elle pleure. Il est assis. Il a le nez dehors. Pas plus d’action, un point c’est tout.

Toutefois, le poème n’est pas fermé à ce stade . Qu’entre le lecteur ! Peut-être que la femme assise pleure de joie : elle a un enfant sur ​​ses genoux. Peut-être, oui, qu’il l’a dépouillée de sa jeunesse, quand il n’y avait pas de craintes, pas de problèmes. Ou bien – il vient de casser quelque chose de précieux et ne peut être blâmé.

Il nous appartient d’habiller l’image nue, l’action directe, avec des manteaux et des couches de toutes les pensées qui nous paraissent applicables. On peut trouver le même processus avec la peinture : je sais que cette femme est une duchesse de Habsbourg, celle-ci, l’épouse d’un marchand de Venise. Je sais qui elles sont et quelle tête elles font, mais je dois encore imaginer une autre image, celle qui remplit leurs pensées.

Young Woman At A Window

Young Woman At A Window
William Carlos Williams

She sits with
tears on
her cheek
her cheek on
her hand
the child
in her lap
his nose
pressed
to the glass

The Dutch Housewife or, The Woman Hanging a Cockerel in the Window - Gerrit Dou via wikipaintings
The Dutch Housewife or, The Woman Hanging a Cockerel in the Window – Gerrit Dou via wikipaintings

Stable

Stable
Ange Mlinko

Un léger bruit de marteau piqueur et je m’éveille
puis viennent les nouvelles : un crash
d’avion en mer. Tous veulent rentrer chez eux, mais
n’obtiennent qu’un couvre-feu drastique au méridien.

Nous sommes à des lieues d’une mer qui vomit
des boîtes noires depuis une contrée aussi
dense que les Andes. Et ici, une Mercedes,
noire de brai comme à la Brea,
bondit du rougeoiement illuminé, anonyme,
alors que nous tentons de traverser
au niveau de l’îlot qui sème ses fleurs d’hibiscus
à chaque coup de vent.

Nous sommes à des lieues du lilas courtois
ou du jaseur
dont la plume sensible est menée comme un kayak
que mènerait un barreur.

(titre original : stabile).

least concern (via Bohemian Waxwing photo: Fruiting | the Internet Bird Collection)
least concern (via Bohemian Waxwing photo: Fruiting | the Internet Bird Collection)

Stabile

Stabile
By Ange Mlinko

I wake to light jackhammering, and news
follows: a plane
failed over the sea. All want to go home, but drastic curfews
obtain from a meridian.

We are a long way from a sea that cedes
black boxes from an area
forested as the Andes. Instead, a Mercedes,
black as La Brea,
leaps from the backlit red, anonymous,
when we try to cross
at the traffic island discarding hibiscus
with every wind-toss.

We are a long way from the courteous lilac
or waxwing
with sensitive feather tipped as a kayak
is tipped by a coxswain.

 Lucas_Cranach_the_Elder_-_Two_Dead_Bohemian_Waxwings via commons

Lucas_Cranach_the_Elder_-_Two_Dead_Bohemian_Waxwings via commons


Source: Poetry (February 2011) via poetryfoundation.org ; traduit dans un post voisin. J’ai mis des waxwings car je n’avais plus de boîtes noires.

aiguilles

– L’aultre soubhaitoit le temple de nostre Dame tout plein d’aiguilles asserées, depuys le pavé iusques au plus hault des voultes: & avoir autant d’escuz au Soleil, qu’il en pourroit entrer en autant de sacs que l’on pourroit couldre de toutes & unes chascune aiguille, iusques à ce que toutes feussent crevées ou espoinctées. C’est soubhayté celà. Que vous en semble?

(François Rabelais, prologue du quart livre)

Dans cet extrait se raconte l’histoire de ce monsieur, le bélître qui voulait voir Notre-Dame remplie d’aiguilles … puis avoir autant d’écus qui rentreraient dans les sacs qu’elles coudraient avant de s’user.
Estimation : aiguilles de 1 mm x 1 mm x 100 mm (pour des sacs). cousent chacune 100 sacs de 100 kg d’or. Notre-Dame de 50 m x 50 m x 150 m (ordre de grandeur).
soit 50 x 50 x 150 x 1000 x 1000 x 1000 x 100 x 100 / 100 = 0,375 10^17 kg. Y a-t-il cela d’or dans ce monde, cette galaxie. combien pèse la terre ? 4/3 10000^3 x 10 = 0,133 10^14 (à quelques ordres près).

petitchap.blogspot.fr/2010/01/la-basilique-sainte-cecile-joyau-dalbi.html

petitchap.blogspot.fr/2010/01/la-basilique-sainte-cecile-joyau-dalbi.html

Références : 1) Rabelais, François, Oeuvres complètes, éd. par Mireille Huchon avec la collab. de François Moreau, Paris, Gallimard, 1994 (la Pléiade)
2) fr.wikisource.org/wiki/Le_Quart_Livre

de la même manière dans la région (II)

(via Jeremiah’s Vanishing New York: Movie Star News Now)
(via Jeremiah’s Vanishing New York: Movie Star News Now)

III
ce soir dans Las Vegas subversifiée
nous survolerons les artères enfumées
et brumeuses de la ville écrasée.
Tout sera nuit avec des lucioles pour marquer les rues
le rythme des véhicules sera celui des vélos
les constructions orgueilleuses ramperont, frêles, sous nos talons.

se pose sur mon épaule nue bourdon ou chauve-souris
je ne me rappelle plus c’est doux
quand elle est repartie je ne suis pas reparti de la même manière
je me suis écroulé dans la chilienne
qui a craqué salement. son schéma de pensée
était dépassé par le fait qu’on pût s’y affaler
tel un vaisseau presque mort sous le coup du vent
et encore!

de la même manière dans la région

I
mon troisième oeil était avec le chien. je ne sais plus son nom. et, c’est bête, son adresse m’échappe j’aurais dû vous dire où c’était un peu plus tôt, c’est tout. ayant bouclé mes rendez-vous, je pense que je rentrai chez moi par le chemin voulu ? tout ce que je peux dire, c’est que ça se passait dans la région.

(via Las Vegas fine-food supplier Brett Ottolenghi : The New Yorker)
(via Las Vegas fine-food supplier Brett Ottolenghi : The New Yorker)

II
Il emporta quarante assiettes, le varan. ou bien 141, plutôt. je le sais parce qu’en divisant par deux ça fait 70 1/2, ça fait vrai en division, mais ça fait drôle en assiettes. Il s’était trompé, les tireurs voulaient qu’il leur lance des soucoupes avec sa queue, il avait pris les assiettes.
il n’a pas dit comment il faisait
le rencontrer, c’est le trahir
oui, le rencontrer, c’est le trahir
il savait lancer les assiettes, ce monsieur varan

L’homme et le buffle

Kon Gap Kwai / Man and Buffalo

Lyric: Somkit Singson & Visa Kantap

Yoshitaka Amano selected by Alternative Art
Yoshitaka Amano selected by Alternative Art

L’homme travaille avec l’homme aux champs
Comme le font les hommes
L’homme travaille avec le buffle aux champs
À la manière du buffle.
Des générations de travail
Et ça marche très bien.

Allez, là on y va!
Allez, on y va!
On a trop subi la pauvreté, la fatigue!
Les larmes en ont assez d’être retenues!
Les temps sont durs, lourds les ennuis,
Malgré le fardeau, nous sommes sans peur.

Vois, c’est un chant de mort
La mort de notre vie entière
Le puissant nous mange
L’affrontement est là
Tout pour endetter le paysan
Et on nous appelle des sauvages!
Allez, on y va!

Man with man work the fields / In the way of man.
Man with buffalo work the fields / In the way of the buffalo.
Man working with buffalo / Is rooted deep in our history.
They’ve worked together for ages. / But it works out alright.

Come, let’s go now! Come, let’s go!
Carry our plows and guns to the fields!
Poverty and weariness endured too long!
Bitter tears held back too long!
Hardships and troubles so heavy,
But whatever the burden, we will not fear!

Titian - Lady with a Flag Fan (Portrait of a Lady in White). 1556 via vasilyt
Titian – Lady with a Flag Fan (Portrait of a Lady in White). 1556 via vasilyt

Here is the song of death, / The death of our humanity.
The rich eat our labor, / Set one against the other,
As we peasants sink deeper in debt. / And they call us savages!
We must destroy this system!
(repeat first four lines of song simultaneously with last four lines)
Come, let’s go now!

http://www.seasite.niu.edu/Thai/music/song4life/kongapkwai.htm

du % de la bible lue à l’assemblée

 le pentateuque
le pentateuque

Avec trois jours au hasard : 03/05, 04/05/2014 et 25/12/2013 (liturgie de la veille au soir), comprenant deux lectures plus psaume et évangile, j’ai 2 727 mots, arrondis à 1 000/j. Source : AELF.

La liturgie fait tourner les lectures sur quatre ans. On a donc 1 460 000 mots utilisés. Update : Il y a trois cycles de lectures des messes dominicales (j’imagine qu’au quotidien aussi) donc 3 * 365 * 1000 = 1 095 000 mots.
Le « Project Gutenberg EBook of The King James Bible » (Bible du roi Jacques) compte 824 149 mots sur 1 567 pages. On sait que l’anglais est un peu plus concis que le français, mais l’ordre de grandeur est là : qui irait à la messe chaque jour aurait une bonne chance d’entendre l’équivalent de l’intégrale de la bible.
Pour qui n’irait que chaque dimanche, cela fait sept fois moins : un très bon échantillon cependant (14%) pour se faire une idée.

Mais le texte évolue à mesure qu’on lui pose des questions.

Ania Wawrzkowicz, Ambiguous Documents via I’m Revolting
Ania Wawrzkowicz, Ambiguous Documents via I’m Revolting